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CULTUREL DANS L'YONNE
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Constant CORDIER, Maréchal-ferrant
![]() Le village d'Escolives (Photo Claude RICHARD) |
En 1919, il n'était pas rare de mettre les enfants au monde
à la maison. Je fis comme les autres ! Je suis né à la
Cour-Barrée, route de Vaux, là, dans le milieu du couloir ! A l'âge de 5 ans, débuta ma scolarité. Je rejoignais à pied, l'école d'Escolives, même quand l'hiver, la neige recouvrait le sol sous une trentaine de centimètres. La classe unique de trente-cinq élèves, filles et garçons - du plus petit au certificat d'études - était tenue par Monsieur HAQUIN, un bon instituteur, sévère mais juste. Le 11 mars 32, alors âgé de 13 ans, je quittais l'école sans le certificat d'études en poche. C'est qu'à cette époque, il fallait un certain niveau pour être admis à le passer ! |
Je n'avais guère le choix, il me fallait trouver un patron. Trois
artisans exerçaient au village : un maréchal-ferrant, un menuisier
et un maçon. Ma mère m'interrogea sur ma préférence.
«Je veux aller chez M. PREAU »
J'étais tout l'temps fourré chez lui !
Le ler avril, je commençais mon apprentissage chez Monsieur PREAU,
le maréchal-ferrant. Son atelier se trouvait à l'entrée de la
Cour-Barrée, à la pointe de la rue. Il disposait également d'un
grand bâtiment, d'un hangar métallique et d'un champ où étaient
entreposés les matériaux.
Il avait quatre ouvriers et moi comme apprenti. A l'époque, c'était
beaucoup.
C'était un maître-ouvrier qui nous donnait des coups de pieds au
cul, pour notre bien ! Ça m'est arrivé parce que j'étais comme les
autres !
J'arrivais au boulot à 7h, à peine réveillé. On avait déjà en ce
temps, des machines. Je me rappelle d'une, qui avait un petit levier
et une courroie. Je dormais à moitié tout en travaillant et ma tête
toucha, un instant, la courroie. Ça m'a réveillé et M. PREAU se
trouvant derrière moi, à ce moment-là, m'a filé une volée de coups
de pieds au cul et là j'peux dire que j'étais réveillé pour de bon !
Pendant les trois années que dura mon apprentissage, je suivis
quelques cours de perfectionnement, le samedi et le dimanche matin,
à l'école d'industrie d'Auxerre, avenue Gambetta. J'y appris le
travail du fer, un peu de mécanique. Certains cours nous servirent
pour la préparation militaire.
Chez Monsieur PREAU, on faisait de la maréchalerie, de la
serrurerie, du fer forgé et de la mécanique. Il rabattait les fers
des charrues pour pouvoir couper la terre plus facilement.
Le Père MUSARD, un forain, qui cheminait de village en village,
possédait un manège de chevaux de bois. Un gros cheval blanc
entraînait ce manège mais à force de tourner en rond, les pieds de
l'animal prirent une telle position qu'il lui était devenu
impossible de marcher en ligne droite. Pour le transporter d'un
village à l'autre, il fallait le grimper sur une remorque.
Tous les ans, le Père MUSARD profitait de la fête de Champs, pour
faire ferrer son cheval chez mon patron. On était obligé de lui
fabriquer des fers spéciaux avec de grands crampons afin que ses
pieds penchent.
Quand on saisissait ses pieds d'un côté, il était tout léger mais
sur l'autre côté reposait toute sa charge. Si bien qu'un jour en
soulevant ses pieds, il me tomba dessus et m'abîma la colonne
vertébrale. J'ai toujours souffert du dos depuis.
On était bien loin des trente-cinq heures et de la R.TT ! On
travaillait de sept heures à dix-neuf heures tous les jours et même
le dimanche matin. Et quand on n'avait pas fini notre travail le
dimanche matin, on terminait le dimanche après-midi ! Les machines
tirées par les chevaux étaient des appareils simples. Une faucheuse
tirée par les chevaux, c'était deux roues, un machin qui faisait
ddou, ddou, ddou... mais petit à petit, on commença à voir des
machines plus perfectionnées.
C'était le commencement des machines agricoles modernes de marque
allemande. Nous les recevions en pièces détachées et il nous fallait
les monter. C'est pour cette raison que M. PREAU me payait des cours
à l'école d'industrie pour apprendre la mécanique. On ne travaille
pas en mécanique comme en maréchalerie. En maréchalerie, ça veut pas
rentrer, on prend un marteau et pan, on tape dessus, ça rentre. En
mécanique, il faut prendre un chiffon, enlever la poussière, faire
bien attention, c'est du travail de précision !
Les chevaux commencèrent à disparaître au profit des engins
mécanisés. Les premiers roulements à bille apparaissaient. On
appelait cela des machines à bain d'huile. Au lieu de mettre de
l'huile tous les matins sur les rouages à l'intérieur, avec une
burette comme on faisait dans l' temps, on ne graissait qu'une fois
par an.
Monsieur PREAU guérissait le crapaud, une maladie du cheval. Les
chevaux de culture avaient de gros pieds. Les cultivateurs ne
nettoyaient jamais la terre qui se logeait autour de la fourchette,
partie intérieure du pied du cheval. Une talure se formait puis
pourrissait. La pourriture s'infiltrait jusqu'à la viande du pied et
dans le coussin plantaire, empêchant à la longue, le cheval de
marcher.
Le cultivateur débarquait alors avec son cheval chez M. PREAU. Après
avoir entravé le cheval, on grattait toute la pourriture. Le cheval
saignait... il sortait un jus noir... c'était dégueulasse... On
faisait ensuite fondre du vitriol à 5 %, et à l'aide d'un pinceau,
Monsieur PREAU nettoyait le pied. Le cheval souffrait un peu, cela
le brûlait. On laissait sécher un petit moment à l'air puis on lui
mettait un fer. On faisait bouillir du suif de cheval et flac... on
lui versait sur le pied... Ah, dites donc, ça r'muait ! Le
vétérinaire était là et nous laissait faire. Il disait, s'adressant
à M. PREAU :
«Toi, t'es un as, c'est comme cela que ça s 'guérit.
Monsieur PREAU répondait :
- J'ai appris ça à la guerre »
Puis on appliquait du goudron de Norvège dans le fond du pied et
par-dessus un pansement avec de la bourre. On posait une plaque de
cuir, puis un fer et quatre clous pour tenir le fer. On le
détachait, il béquillait un peu, mais ça allait ! Et huit jours plus
tard, on enlevait le fer et on lui en remettait un nouveau. Il était
guéri.
Les autres maréchaux-ferrants et les vétérinaires ne savaient pas
guérir le crapaud, si bien qu'on voyait venir des clients de loin.
J'ai travaillé ainsi chez M. PREAU jusqu'à l'âge de 20 ans. A cette
époque là, je fréquentais déjà celle qui deviendra ma femme. Et puis
la guerre arriva... Ce fut le coup dur. Je fus envoyé dans
l'infanterie mais pour très peu de temps. En 39, la guerre se
faisait avec des chevaux, pas encore avec des camions. L’armée avait
besoin de maréchaux-ferrants pour ferrer les chevaux, aussi me
retrouvais-je à l'école de Saumur.
Les Allemands me firent prisonnier mais je réussis à m'évader dans
le mois qui suivit et rejoignis Tarbes où étaient regroupés les
restants de l'école de Saumur. C'est là que j'obtins mon brevet de
maître maréchal-ferrant. Puis je fus dirigé sur les camps du sud de
la France où se trouvait l'armée coloniale.
En 41, je partis pour cinq ans à Dakar comme moniteur de
maréchal-ferrant au service vétérinaire de l'Afrique occidentale de
France. Je montrais aux Sénégalais à ferrer les chevaux.
La guerre terminée, je regagnais la Cour-Barrée, le 28 décembre 1945
où je retrouvais celle qui m'attendait depuis sept ans, Lucienne !
Nous nous sommes finalement mariés à Vaux, en avril 46.
Je ne savais pas trop quoi faire. Il n'y avait plus de travail en
France, le fonds de mon patron avait été vendu pendant ce temps pour
trois fois rien... Après tout, j'étais bien payé... alors je me suis
engagé dans l'armée.
Pendant un an, je voyageais, je fis toutes sortes de métiers, tout
ce qu'on pouvait faire dans l'armée. J'allais de ville en ville, on
liquidait les régiments. J'étais maréchal des logis chef, je
liquidais les fers à chevaux, les selles, enfin tout le matériel
pour les chevaux parce qu'on commençait à voir des véhicules dans
l'armée.
Puis je fus affecté à l'état major de Diego SUAREZ à Madagascar. Je
ferrais les chevaux de l'armée et des entreprises civiles comme les
usines de viande. On ne peut pas dire que j'étais bien payé.
Après quatre mois de vacances bien méritées à la Cour-Barrée, je
rejoindrai successivement le régiment de cuirassiers d'Angoulême,
l'école de Saint Maixent, Dakar, le service vétérinaire de l'école
de santé de Lyon, puis l'école vétérinaire de Compiègne où je me
perfectionnerai et obtiendrai le grade d'adjudant chef.
Et là, ce fut la fin de ma carrière militaire. J'avais 42 ans et
j'avais acquis mes droits à la retraite. Bien sûr, j'aurais pu
encore rester une dizaine d'années... mais je décidais avec Lucienne
de revenir à la Cour-Barrée. Nous avions fait ce choix en ignorant
vers quoi nous allions.
Lorsque j'avais quitté l'école à l'âge de 13 ans, sans mon
certificat, Monsieur HAQUIN eut ces mots : «Tu es un bon à rien et
tu ne réussiras jamais rien dans la vie.»
Et 42 ans après, les hasards de la vie me firent croiser à nouveau
son chemin chez le cordonnier.
« Mais qu'est-ce que tu fais là, Constant ? - Je suis à la retraite
- C'est pas vrai ?
- Ben, c'est pas c 'que vous m'avez appris qui m'a permis d'en
arriver là, il a fallu qu’ je bosse.... J'ai été à l'école dans
l'armée ... »
En 1961, nous nous installons définitivement ici, dans la maison
qu'avaient construite mes grands parents.
Il était impossible de vivre seulement avec ma petite retraite de
l'armée, aussi décidais-je de m'établir à mon compte comme
maréchal-ferrant ambulant. J'avais ma voiture avec une remorque dans
laquelle tenait tout le matériel nécessaire pour ferrer les chevaux.
J'allais à domicile. II fallait s'adapter à l'évolution. Dans le
temps, on emmenait les chevaux chez le maréchal-ferrant, mais dès
que les voitures firent leur apparition, on ne mit plus les chevaux
sur la route. C'était le maréchal-ferrant qui se déplaçait dans les
centres hippiques et chez les cultivateurs. Mon premier client fut
le centre hippique auxerrois, route de Vallan. Je débutais avec
trente chevaux.
Le centre hippique du C.I.G.A. figurait aussi parmi ma clientèle. On
y trouvait une vingtaine de chevaux dont les chevaux de Georges
POMPIDOU. Alors qu'il était Président de la République, le Roi du
Maroc lui avait offert deux chevaux dont il fit don à l'armée. C'est
ainsi qu'ils se retrouvèrent à Auxerre.
Le métier du maréchal-ferrant consiste à ferrer les chevaux et
également à soigner les pieds des chevaux car on ne peut ferrer
qu'un pied sain. Ma carrière dans l'armée, au contact des
vétérinaires, m'avait permis d'apprendre les soins à prodiguer.
L'intérieur d'un pied de cheval est vivant. On trouve la corne et
sous celle-ci, des os, des muscles, des nerfs et des veines.
Précision et douceur sont indispensables car nous travaillons sur du
vif. Si le cheval bouge, c'est qu'on lui fait mal et que par
conséquent, on s'y prend mal.
Les chevaux me connaissaient et me voyaient souvent. Jamais ils ne
m'ont donné un coup de pied et jamais je ne leur ai donné un coup de
bâton. D'ailleurs, je faisais la guerre aux jeunes qui ne les
respectaient pas. Ça va pas et pan, un bon coup de bâton. « Il va te
donner un coup de pied, tu vas le gagner! »
Le cheval est un animal doux, il ne faut pas le battre. Certes,
quelques-uns sont méchants, mais ne vaut-il pas mieux en chercher la
cause ?
Je me souviens d'une jument que j'allais ferrer le dimanche. Il ne
fallait surtout pas lui lever les pieds arrière. Quand on lui
soulevait les pieds de devant, elle ne bougeait pas, mais les pieds
arrière, là, elle m'aurait tué. Alors on a cherché, on a cherché et
on a fini par découvrir qu'en lui levant les pieds arrière, elle
ressentait une très forte douleur dans la colonne vertébrale qui la
rendait folle. Aussi prenait-on le temps nécessaire, on lui levait
à peine le pied pour que les outils puissent passer en dessous et je
la ferrais sans qu'elle fasse un mouvement.
La théorie dit que le dessous et le bord du sabot d'un cheval en
bonne santé poussent d'environ un centimètre par mois. Aussi tous
les deux mois, doit-on ferrer à nouveau le cheval car les clous ne
tiennent plus. Mais comment ferre-t-on un cheval ?
On commence par enlever les vieux fers. On pare ensuite les quatre
pieds c'est-à-dire qu'on enlève la mauvaise corne en respectant bien
les aplombs jusqu'au moment où il se forme une petite raie appelée
le sillon circulaire. On choisit des fers à la pointure du cheval,
parmi les fers ordinaires de pieds de devant et de pieds de
derrière. Comme ce sont des fers type, il faut les adapter à la
forme des pieds du cheval en les faisant chauffer et en les forgeant
à l'aide du marteau. Puis ils sont appliqués chauds sur le pied.
Le fer ne doit être ni trop chaud, ni pas assez. Il doit être rose
ou couleur cerise pour griller la corne et ne pas brûler la peau. Le
fer rose ne brûle pas la peau parce qu'il se forme une petite
pellicule entre le fer et la corne. Par contre, si le fer est trop
chaud et devient noir, la chaleur pénétrera à l'intérieur du pied et
brûlera le cheval qui ne pourra plus marcher pendant un bon mois.
Le cheval ne sent rien si le pied a bien été préparé. Si le travail
est mal fait, il le sent et vous aussi !
Donc on applique le fer chaud sur le pied pour incruster le pinçon
qui est un petit morceau de fer en bout qui empêche, quand le cheval
bute, que le fer glisse plus loin. Une fois les fers refroidis, il
ne reste plus qu'à les brocher c'est-à-dire les clouer. C'est un
travail très délicat car la corne d'un pied de cheval fait environ
cinq millimètres en bas puis va en mourant jusqu'à la chair. C'est
pourquoi il est indispensable de bien connaître l'anatomie du pied
pour arriver à glisser le clou dans cette partie sur trois
centimètres qui constitue la corne morte. Le clou ne doit pas passer
de l'autre côté du sillon circulaire. Ensuite, les clous sont
repliés, la pointe coupée à un millimètre du sabot et relevée avec
le bord du marteau, on appelle cela river.
Est-il préférable de ferrer à l'ancienne ou selon la méthode
anglaise ?
La manière ancienne est celle que j'appris à l'armée. Il faut deux
personnes : un teneur et le maréchal-ferrant qui ferre le cheval.
Alors que selon la méthode anglaise, le maréchal tient le pied du
cheval entre ses jambes et le ferre seul, pratique relativement
dangereuse pour le maréchal et très fatigante. Celui, qui utilise
cette méthode ne peut ferrer que cinq chevaux dans une journée alors
qu'avec la manière ancienne, on va jusqu'à neuf chevaux.
Il vaut mieux éviter de ferrer à l'anglaise un cheval qui remue
trop, sinon on court le risque de prendre de mauvais coups de pieds
à la colonne vertébrale et de finir comme certains de mes collègues
dans une chaise roulante.
On peut reconnaître que cette méthode possède l'avantage d'éviter de
payer le salaire d'un teneur de pieds mais l'inconvénient est que la
ferrure est bien moins solide.
Mon métier ne s'arrêtait pas aux pieds des chevaux. Je les tondais
aussi ! A la veille de l'hiver, armé d'une tondeuse électrique, je
tondais le cheval en gumpling, en laissant seulement l'emplacement
de la selle ou en chasse en ne rasant que les cuisses et le cou.
Il m'arrivait aussi d'être appelé pour couper la queue des chevaux
de trait afin d'éviter qu'elle ne s'accroche dans les appareils
installés pour tirer les herses. L'opération se déroulait toujours
en présence d'un vétérinaire quand les poulains avaient atteint
l'âge d'un an et demi. On en coupait six en une matinée.
Tout d'abord, il fallait compter les vertèbres. Quatre vertèbres, on
coupait les poils, et on apposait un petit coup de craie juste à
l'endroit de la quatrième vertèbre. L'un de nous tenait la queue
tandis qu'un autre installait un bout de bois en dessous et clac, un
bon coup de marteau et le bout de queue tombait. Et là,
J'intervenais avec un outil rougi par le feu, et pschi, pschi, je
l'appliquais sur le petit bout de queue pour le cautériser. Ça
sentait fort ! Ensuite, pour l'empêcher de remuer sa queue, on
fixait un bout de manche à balai en nattant les crins restant avec
un morceau de ficelle.
Je soignais également les pieds des vaches. La corne des pieds des
vaches restant en stabulation ne s'use pas. Leurs pieds sont alors
plus longs devant que derrière et elles finissent par marcher sur
leurs glomes. Elles souffrent et perdent du lait.
Je coupais le bout du pied afin de rétablir l'équilibre. Je n'étais
pas arrivé depuis un quart d'heure, que j'étais recouvert de bouse !
J'ôtais la corne presque jusqu'au sang et appliquais un peu de
vitriol dilué pour désinfecter le pied. Ce genre d'opération,
relativement rare, était surtout réservé aux vaches qui allaient
être présentées dans les concours.
Autrefois, on ne rencontrait pas ce problème-là, car en marchant
dans les prés, les vaches usaient leur corne.
Le ferrage des chevaux était rentable de Pâques à la Toussaint.
L'hiver, les gars ne faisaient pas ferrer leurs chevaux tous les
deux mois, mais tous les quatre mois aussi, avais-je des journées
entières sans travail.
Un peu découragé, je me confiais à des copains. «J'gagne pas ma vie
à faire mon métier; allez je fous tout en l'air.
- Et quoi, et mes chevaux ? me répond l'un.
- Et bien, vous vous démerdrez !
- Ah non. Tiens, j te donne du travail. Si lit veux faire de la
serrurerie dans ma librairie, y 'a d 'quoi. C'est touts les vasistas
qui sont foutus et j 'trouve personne pour les réparer. »
Et un peu plus tard, je rajouterai également à mon activité la
ferronnerie d'art. Je créais des chandeliers, des dessous de table,
des lampadaires, des appliques, des feuilles de lys, des grilles de
porte...
Par la suite, des problèmes de santé me forcèrent à liquider mon
fonds, mais il faut dire une chose : j 'ai fait un beau métier; j'ai
eu un bon métier, et je suis un maréchal-ferrant HEUREUX!
Anecdotes
II y avait ce bout, moitié corne, moitié viande qui pendait...
On me téléphonait d'un peu partout. Un vétérinaire m'appelle. II
était face à un cheval avec un bout de viande qui pendait. Il me dit
:
« Qu'est-ce que vous feriez ? Vous êtes allé à Saumur, On m'a parlé
de vous...
- J 'suis pas vétérinaire...
- Ce s’rail moi, je mettrais le ch'val à l'abattoir, mais le proprio
voudrait qu'on le soigne.
Le pauvre cheval avait le sabot coupé. Il avait glissé son pied
entre un mur de parpaing et une tôle et en le retirant, la tôle le
coupa. Et il y avait ce bout, moitié corne, moitié viande qui
pendait...
Je répondis :
- On va lui refaire son pied. »
- Je me rendis sur place.
On lui endormit la patte et lava sa plaie. Je lui recollais le bout
de chair avec mes "produits" puis le vétérinaire posa les fils et on
termina par un pansement.
«Combien de temps, on laisse le pansement ? me dit-il.
- 45 jours, si c'est recollé tant mieux, sinon...»
Quarante-cinq jours plus tard, nous retournons voir le cheval. Il
commençait déjà à s'appuyer sur son pied. On lui fit à nouveau une
piqûre et enleva le pansement. Les morceaux s'étaient recollés. On
appliqua du goudron de Norvège, produit qui fortifie la corne, et on
posa un nouveau pansement. Le cheval se leva peu de temps après et
se mit à gambader dans le pré.
L'âne aux sabots
Alors que nous partions en vacances, le téléphone retentit. C'était
un gars de Charentenay.
« Venez, venez tout de suite. Je viens d'acheter un âne, il ne tient
pas d'bout, il tombe par terre...
- Faut appeler un vétérinaire
- Mais non, pas un vétérinaire, vous...
- Bon ben, on y va.
Il avait les pieds qui étaient longs... on aurait dit un sabot
d'homme, son pied remontait au bout... Il marchait sur le bout de
son pied...
- Mince, alors...
- C'est un bonhomme qui m'a vendu ça...
Mais il n'était pas fou, il savait bien que l'âne était bon...
Il reprit :
- Faut qu'tu m'coupes ça, on va aller chercher une scie...
- Y'a pas besoin de scie. »
J'avais des outils qui coupaient bien. On mit la patte de l'âne sur
un bout de bois et avec mon marteau... pan... c'était de la corne
morte, le morceau est tombé. Et on fit de même pour les trois autres
pattes. Une fois terminé, l'âne se remit debout.
Je lui arrangeais les pieds en ôtant la corne morte et une fois
relâché, notre âne se mit à courir, presque à voler tellement
heureux d'avoir retrouvé sa stabilité.
Le cheval aux pieds brûlés
Je reçois l'appel d'une dame de Guerchy.
«Pouvez-vous venir ? Un maréchal ferrant est passé, le cheval est
couché, il ne peut pas se mettre debout.
- A mon avis, un cheval qui est ferré depuis trois-quatre jours et
qui ne tient pas debout, c'est qu'il est brûlé.
- C'est un espèce de Portugais qui passe, qui ferre les chevaux...
- Il vous a brûlé votre cheval.
- C'est c' que le vétérinaire m'a dit. Il m'a dit, faut faire venir
CORDIER, lui sait soigner ça.
Je me rends à Guerchy.
- Il faut lui enlever les quatre fers.»
Il était couché et je voyais bien qu'il souffrait terriblement.
Je fis de la boue avec du son que je mis ensuite dans des petits
sacs qu'on appliqua sous ses pieds. Le son calma la douleur, si bien
qu'au bout de deux jours, le cheval parvenait à tenir sur ses
pattes.
J'y retournais pour lui poser les fers, mais je ne pus, sa chair
était à vif. Ce n'est qu'au bout d'une quinzaine de jours qu'on
parvint à le ferrer.
C'est ainsi que cette dame devint ma cliente et que, satisfaite de
mon travail, elle me recommanda à d'autres.
Des chevaux de valeur
Un homme de Bazarnes s'arrêta à la maison.
« Est-ce que vous pourriez, ferrer mes chevaux ? Mais attention, ce
sont des chevaux qui ont une certaine valeur, ils participent aux
grands concours hippiques dans toute la France. C'est un
maréchal-ferrant de Paris qui m'a dit, tu peux y aller; c'est un
gars de toute confiance.
- Oh ben alors, s'il vous l'a dit, c'est qu'c'est vrai !u Je me
rendis chez lui. Il alla chercher un cheval. C'était lui qui tenait
ses pieds.
Quand j'eus ferré le cheval, je m'aperçus que ce n'était pas un
cheval à 10.000F. C'était probablement celui dont sa femme devait se
servir pour s'amuser ! Il avait d'abord voulu me tester. Il me
confia alors ses autres chevaux.
Isabelle FOURNIER - Ecrivain Public - Le secret de la Plume - 89530
Chitry le Fort
Mémoires d'Escolives-Sainte-Camille Tome 1.
Edité en 2004 par l'Association Mémoires d'Escolives
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