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Toucy ou la découverte de la ville
Toucy, pour moi, dans ma petite enfance, c'était avant tout la
ville, une ville modeste, certes, mais au caractère urbain très
prononcé et tout autre chose que le village nivernais où je vivais
habituellement chez mes grands-parents maternels, en raison de la
guerre, celle de 1914 (a). Capitale de la Puisaye, une petite région
naturelle, un "pays" bocager et souvent boisé, Toucy (b) est avant
tout un gros marché qui, chaque samedi matin, attire les foules du
voisinage, et, jadis, davantage encore les jours de foire, en
particulier celle du "Beau Marché" au printemps, et celle de la
"Gerbe", le premier dimanche de septembre.
Vers 1900, l'agglomération comptait plus de 3600 habitants (c). Elle
se tapit dans un creux où coule paresseusement l'Ouanne. La petite
rivière circule paisiblement dans un lit trop large au milieu de
bancs de vase et de roselières avant de rejoindre le Loing. Où qu'on
aille en quittant Toucy, on monte. D'épais brouillards stagnent
souvent sur la ville. Quand on arrive d'Auxerre, après un parcours
de 20 km, à travers de vastes horizons verdoyants coupés de bois,
par une interminable descente, on ne découvre la petite cité qu'au
moment d'y entrer. Soudain, apparaît la pointe de son fin clocher,
couvert d'ardoises bleues, qui surmonte étrangement une vieille
église fortifiée, reste du solide château qui couronnait l'antique
motte féodale (d). Le chemin grimpe dur pour atteindre, sur le côté
de l'édifice, le portail principal qui ne remonte qu'au XVIè siècle.
La haute ville s'organise autour d'un autre château, très vaste,
dont le XVIllè siècle a coiffé les tours d'angle de dômes
d'ardoises; en plus petit, il rappelle celui de Saint-Fargeau que
Jean d'Ormesson a fait revivre grâce « Au plaisir de Dieu », mais
point de châtelain à Toucy, il y a longtemps que cette immense
demeure a été divisée en appartements, d'ailleurs modestes. Le
presbytère y est aujourd'hui installé depuis que l'ancien fut
détruit en 1940. J'étais assez fière d'aller rendre visite à un
couple de vieux cousins, pas très sympathiques d'ailleurs, qui y
habitaient, les Varet (e).
Le quartier est résidentiel, composé de pavillons aux jardins bien
entretenus, entrecoupés de belles demeures plus spacieuses. Mme
Defrance, amie fidèle de mes grands-parents, y occupait une fort
agréable maison dont le grand parc rejoignait les hauteurs où
courait l'étroite voie ferrée du "tacot", le chemin de fer
économique qui reliait Toucy à Joigny.
La "gargouille", une belle avenue bordée de platanes séculaires,
unit, le long du château, la haute à la basse ville, celle des
champs de foire, aujourd'hui bâtis, et du commerce. Celui-ci se
concentre du Pont-Capureau à la mairie et de chaque côté de la vaste
place de la République que coupe l'artère principale. Une fontaine
monumentale y honore Pierre Larousse, ce laborieux enfant du pays
(f). Vers 1920, la rue Philippe Verger, qui monte à
l'Hôtel-de-Ville, était particulièrement mal alignée, la
reconstruction d'après guerre l'a considérablement élargie et
rectifiée. Elle n'a heureusement pas supprimé ces venelles et ces
passages voûtés qui permettent de circuler discrètement jusqu'à
cette ruelle du Miton que parcourut Jeanne d'Arc, on l'assure du
moins.
La mairie est une belle et vaste construction du XIXè siècle qui
convient à un gros chef-lieu de canton. D'un côté, on monte à
l'église, de l'autre, on rejoint "la gargouille" par la rue Lucile
Cormier (g): autrefois Grande Rue, la nôtre. C'était à l'époque une
voie très commerçante et peut-être la plus active de la ville; notre
ancêtre ne s'était pas trompé en y construisant notre vaste demeure,
mais je la trouvais triste, étroite et sombre. Si j'ajoute que Toucy
possédait un grand marché couvert, une école primaire supérieure
pour les garçons et un cours complémentaire pour les filles, avec
l'une et l'autre un gros internat, sans compter une institution
privée, "l'école libre", des bains douches, une agence de la Société
Générale ouverte le samedi, une petite bibliothèque municipale,
évidemment une caisse d'épargne et une justice de paix, enfin trois
gares, dont deux pour le chemin de fer à voie étroite, on conviendra
que Toucy était une vraie ville dont l'évidente supériorité écrasait
mon habituel village d'Aunay, ce que ma grand'mère ne manquait
jamais de rappeler à chaque occasion.
Je le voyais bien dès que nous débarquions du train. Ma grand'mère
d'Aunay m'avait conduite jusqu'à Clamecy où nous avions déjeuné au
buffet de la gare avec celle de Toucy venue me chercher. Par
Druyes-les-Belles-Fontaines et Lain-Thury, nous finissions par
arriver à Toucy-Moulins où ne s'élevait qu'une gare minable et
enfumée; il fallait toujours y poser une bonne heure, à quatre km de
Toucy, dans l'attente de la correspondance: les lignes d'Auxerre à
Clamecy d'une part, à Montargis par Triguères de l'autre, s'y
croisaient.
Enfin, on arrivait. La haute et droite silhouette de mon grand-père
Charles se profilait sur le quai. Tout de suite, j'étais saisie par
la majesté du lieu, cette place où s'élevaient deux gares, cette
masse étagée de maisons où se mêlaient la tuile et l’ardoise sur un
fond de verdure, cette rue rectiligne, régulièrement pavée, bordée
de trottoirs et de magasins, qui débouchait sur une place que je
jugeais immense, ces réverbères qui s'allumaient le soir, tout cela
formait un monde nouveau, ordonné, que je découvrais avec
étonnement, avec intérêt et curiosité aussi. Toucy, sans doute
possible, c'était bien la ville.
Notes:
(a) Aunay-en-Bazois, arr. de Château-Chinon, cant. de
Châtillon-en-B.
(b) Ch.‑l. de cant., arr. d'Auxerre, à 20 km de cette ville et à 40
de Montargis, dans le Loiret. La Puisaye se divise en Haute‑Puisaye,
autour de Toucy, et en Basse-Puisaye, entre Saint-Fargeau,
Saint-Sauveur, le pays de Colette, comme on sait, et la Loire.
(c) D'après H. MARCOUX, "Toucy, terre d'histoire", nouvelle éd, 1997
(d) L'origine de Toucy est un site défensif sur une 1 motte éperon 1
.
(e) Charles et Marie Varet, des contemporains de mes grands-parents,
avec lesquels je ne vois pas le lien de parenté...
(f) Pierre Larousse est né à Toucy en 1817; sa mère tenait le relais
de poste, aujourd'hui Hôtel de La Ville d'Auxerre où eut lieu notre
déjeuner de mariage, en juillet 1943. M. Larousse avait une forge
proche de l'auberge, qui lui fournissait de nombreux chevaux à
ferrer. Pierre est mort à Paris, en 1875, après avoir fondé sa
maison d'édition et fourni un labeur écrasant pour rédiger son
fameux dictionnaire.
(g) Lucile Gromas, soeur de Mme Defrance, avait épousé un M. Cormier
qui hérita d'un oncle d'Amérique inconnu. Sans enfant, Mme C. avait
légué sa fortune à la ville.
Simone Waquet
Article extrait du Bulletin de l’ Association d’ Études de
Recherches et de Protection du Vieux Toucy et de ses Environs N° 69
paru en 1999
(Article publié sur ce site avec l’autorisation de Monsieur Serge
Breuillé , président de l’Association)
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