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Le guérisseur
Il habitait en haut de la colline à portée de regard du village.
Cachée parmi les frondaisons sa demeure croulait sous les ans. Sur
le seuil, les ronces et les orties enlaçaient la porte branlante. Il
n'avait aucun confort et ne s'en souciait point. Il avait le front
des gens têtus et le menton des hommes de caractère. Son regard
curieux gardait, en dépit de son grand âge, la pureté des océans.
Solitaire, il paraissait apprécier cet isolement. Il avait du
caractère le guérisseur, débonnaire et très original, il possédait
quelques similitudes avec les gros nounours mais comme les
plantigrades, réagissait violemment dès qu'on égratignait sa
délicate susceptibilité.
S'il se promenait dans les rues du bourg c'était toujours avec un
carnier dans le dos. Il trimbalait parfois un renard mort dans sa
musette, la tête passant d'un côté, la queue de l'autre. La bête
n’était pas toujours très fraîche et la puanteur persistait après
son passage.
Il lui arrivait de refuser la conversation, il prétendait alors
avoir l'oreille paresseuse, mais il entendait parfaitement.
Il avait été un garde forestier actif. Très au courant des choses de
la nature, il connaissait les plantes qui guérissent. Mais il ne
faisait pas le rebouteux, ce n’est pas lui qui aurait manipulé une
épaule luxée ou des vertèbres indisciplinées. Il n’avait pas envie
de casser du bonhomme. - Laissons ces choses sérieuses aux gens
sérieux. Moi si je ne vous fais pas de bien, je ne vous ferai pas de
mal, clamait-il, avec un petit sourire amusé.
Les plantes et les remèdes de bonnes femmes, il connaissait. Il ne
se faisait pas payer mais la petite pièce ou l'invitation à déjeuner
étaient néanmoins bienvenues. Les patients n'étaient point légion et
pourtant quand le médecin tardait à trouver le chemin de la
guérison, certains lui faisaient confiance et souvent, mystère de la
vie, ça marchait 1
Il connaissait les décoctions nécessaires à la confection de la
tisane qui guérit la toux et recommandait pour le mal de gorge les
gargarismes à la goutte ou au rhum, au choix disait-il et « tu peux
avaler mais ne t’éloignes pas trop de ton lit ! Tu peux recommencer
le lendemain mais surtout « gargouille » bien tout ça au fond de la
gorge ».
Il y avait des adeptes même après le mal dépassé...
- Pour le cholestérol, rien de plus simple. Si ton toubib n’arrive
pas à t’en débarrasser fais une cure d’oignons. Pendant quinze
jours, tous les matins, tu fais bouillir un oignon bien épluché et
froid ou chaud t’en avales un grand verre à jeun. Succès garanti !
C’est vrai ont affirmé les anciens mais ce n’est pas très bon, il
faudrait un peu de sel.
- Ah non surtout pas !
- Pour les piqûres de guêpe ou d'abeille: retirer le dard, prendre
trois herbes ou plantes différentes, bien montées en sève de
préférence, et les écraser sur la plaie en frottant fort, il n’y
aura ni enflure ni douleur.
- Pour les orties, frotter la peau avec la terre prélevée sur place
ou encore avec des feuilles de plantain..
Pour son conseil le plus judicieux, donné en confidence aux intimes,
il était nécessaire de tendre l'oreille afin de capter le précieux
message.
- La sciatique ! Ah ! La sciatique ! J’voudrais pas prendre le pain
des médecins mais c’est ben simple. Tu t’allonges par terre, les
épaules ben calées au sol, en appui avec les mains sous une base
solide, un meuble bas par exemple, les jambes repliées sur le
thorax, genoux le plus près possible de la poitrine et sans décoller
les épaules, tu bascules à droite puis à gauche.
Tu fais ça tous les matins, tu vas bien la décoincer c’te colonne.
Il n’avait pas grosse affluence de patients le guérisseur, c’est
surtout à lui-même qu'il appliquait sa thérapie et ça semblait bien
lui réussir au père Fouassier, jusqu'au jour où... Mais il était
trop tard.
On n’a encore rien trouvé de mieux pour soigner les hommes que la
mise en oeuvre des recherches effectuées depuis toujours par des
scientifiques longuement préparés. Les êtres sont mortels et le
médecin ne peut pas non plus l'impossible. Mais on ne lui reconnaît
même plus le droit à l’erreur et la perfection qui n’est point le
lot de l'humanité, de lui, est exigée.
Ce n’est pas le père Fouassier qui aurait pratiqué l'exorcisme, avec
lui ni prières, ni apposition des mains. Il parlait parfois de ces
pratiques avec une petite moue dubitative, aimant à rappeler que
jadis on clouait les chouettes sur les portes de la grange pour
conjurer la malédiction.
En parlant des « barreux » il avait toujours un petit sourire et son
oeil malicieux pétillait de malice.
- Ces gars là, disait-il ont des formules secrètes; chacun a la
sienne et s'oblige à en être le gardien. J'en connais cependant
quelques-unes que je tiens de l’abbé Bourge, curé de Saint-Martin.
- Par exemple pour guérir les brûlures dites trois fois: Feu de Dieu
perd ta valeur. Esoenareth et appliquez dessus de la confiture de
groseilles.
- Pour l'amour: Prenez un trèfle à quatre feuilles, mettez-le dans
l'eau bénite, faites-le sentir à la personne dont vous voulez être
aimé, faites une prière dessus et dites 3 Pater et 3 Ave.
En dépit de ses dénégations on sentait bien que le vieil homme avait
testé ces pratiques, par simple curiosité sans doute.
Mais le vieux garde n’était pas sot. Il prétendait que la nature
avait prévu le remède pour chacun des maux qu'elle pouvait engendrer
et que cette thérapie naturelle se trouvait toujours près du mal.
- La nature, disait-il est bien meilleure chimiste que l'homme.
Mais il disait aussi qu'elle était impuissante face aux pandémies et
à l'usure de l'organisme ainsi qu'au disfonctionnement des organes.
C’était un érudit qui avait fait de hautes études à Paris au lycée
Condorcet, mais il aimait trop la nature et la solitude pour
résister à l'appel des forêts. -
Il savait que notre planète qui compte 800.000 espèces végétales
dont 300.000 à fleurs, fournit un dixième de ses ressources à la
recherche pharmaceutique et cosmétique.
Il prétendait qu'on fabriquait une molécule de synthèse connue sous
le nom d'aspirine à partir de la reine-des-prés, encore appelée
ulmaire.
Il citait le pavot comme étant la fleur du bien puisque donnant le
fruit qui produit l'opium, base de la morphine. On sait depuis
qu'elle peut-être également la fleur du mal puisqu'on l'a détournée
de son noble destin pour en faire l'héroïne.
Il reconnaissait que les guérisseurs avaient, pour certains, un réel
succès auprès des patients pour avoir obtenu des résultats
convaincants:
- C’est la foi qui sauve. Ces gens là ne guérissent que les malades
imaginaires mais c'est déjà un bon résultat !
Le vieil homme était apprécié pour sa lucidité et son humour,
pourtant lorsqu'il est parti pour le dernier voyage, rares ont été
ses concitoyens à l'accompagner. Il avait depuis trop longtemps
recherché l'isolement.
Pierre JEAUNEAU - CIEL
DE PUISAYE
Edité en décembre 2001
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