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La goutte
Et puis après le café, la goutte, en principe la goutte était mise sur la table
le matin et midi après le café pour éviter le (café châtré). Chacun se servait à
convenance et là encore la différence des besoins était remarquable. Cela allait
du tiers de verre au petit fond de rien du tout destiné aux estomacs de «
couisses ».
L’alcool local (eau de vie) était obtenu par distillation du marc de pomme et
avait fini par prendre l'appellation de « goutte » sans doute à cause du faible
volume nécessaire pour dégustation (55°) et les amateurs de sensations fortes
buvaient ça comme du petit lait. La tolérance ou dépendance du produit entre les
consommateurs était grande, les uns se servaient une « larme », les autres un «
sanglot ».
Toutefois amateurs raisonnables ou pas tous les hommes en prenaient, et un
patron qui n’aurait pas payé la goutte après le café n’aurait point trouvé de
personnel pour le servir, et la mise à disposition du précieux liquide imposait
de prévoir le stock annuel nécessaire, ce qui n’était pas sans poser de sérieux
problème, il faut qu'on en cause un peu.
Le droit de distiller était limité à 10 litres d'alcool pur, soit 18 litres à
55° (privilège toujours en vigueur, non transmissible).
Droit accordé à tous récoltants sans: tenir compte des surfaces, il suffisait
d’avoir un coin de jardin avec quelques fruitiers et c'était bon; pourvu que le
bouilleur soit le récoltant direct, ledit droit n'était donc pas étendu aux
marchandises achetées.
Par exemple le propriétaire ou locataire d'un coin de terre avec deux ou trois
arbres était récoltant et 'bouilleur de crus" en droit, sans avoir rien à
bouillir puisque les prunes étaient passées en confitures et les pommes ou
poires cueillies pour la consommation d'hiver. Il fallait donc acheter une tonne
de pommes ou plus pour faire le cidre et légalement ne pas serrer le marc et se
résigner à le jeter puisque ne provenant pas du terrain qui ouvrait le droit,
c’était l'application de la loi.
En pratique ça ne se passait pas comme ça, c'était connu et les contrôles
effectués par la "régie" auprès des alambics portaient principalement sur le
volume fabriqué, sans trop de recherches concernant la provenance du produit.
Bien entendu, les 18 litres de goutte attribués à un employeur de main d'oeuvre
étaient loin de faire le compte nécessaire pour une année, il manquait au moins
un zéro et pour faire la soudure (l’année) il fallait se débrouiller. Pour
commencer battre le rappel des droits.
Les parents, grands-parents et aussi les enfants majeurs avaient un bout de
champ à leur nom et un droit de goutte, et puis encore après, essayer d’en faire
un peu plus encore, c'était juste défendu de se faire prendre.
Pendant les années de guerre, sous l'occupation allemande les alambics
fonctionnaient tous les hivers jour et nuit, en service continu. L’atelier
public devenait le lieu de rassemblement de toutes les âmes en peine. En plus
des deux employés au service de l'alambic le patron et son commis les récoltants
qui venaient cuire leur cidre ou marc venaient aussi à deux.
Il y avait ceux qui avaient terminé et n’étaient pas pressés de partir, ceux
dont la récolte était enfournée ou en passe d'y être et ceux qui attendaient
leur tour, ou étaient venus pour prendre jour, et certains venaient voir le
patron plusieurs jours de suite, des fois qu'il y aurait eu du changement... Ça
faisait comme ça une bonne douzaine de bonhommes qui avaient de bonnes raisons
pour se trouver là, et s'y trouvaient tellement bien qu'ils faisaient durer le
plaisir, et donnaient un coup de mains de bon coeur.
On se passait les paniers à marc et on se mettait aussi à plusieurs pour
ramasser à la pelle le marc épuré et le charger au tombereau. Ça grouillait de
bonnes volontés, tout le monde en mettait un coup pour pas faire grand-chose et
tout ce monde causait, plaisantait en pleine activité parolière débridée pour
les mots choisis de circonstance:
"E ben s'coup-là, j'tauré quand même vu travailler! Cest ben la premiée foué qué
fté oué t'ni un manche"!
Et le concerné prenait un air faussement outragé et levait haut la pelle pour
l'abouler sur la ciboule de son détracteur, puis se ravisait et lavait l'insulte
par le mépris:
"Ten vaut paù l'coup, faut paù batte dé la fausse monnaie, tout le monde sait
ça, allez vient trinquer eune tchotte goutte (une petite goutte) ça va te la
boucler..."
Christian CONNET
LE TROU NORMAND « …Un précipice »
Imprimé par l’auteur Août 2002
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