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Le travail des enfants
"L'oisiveté est la mère de tous les vices"
L'un des proverbes préférés de notre instituteur Jean Galois qui enseignait à
l'école primaire de Malicorne dans la fin des années 30.
Cette inscription en majuscules au tableau noir était servi pour une semaine et
remplacée par une autre du même cru.
« Ne jamais remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même », et ça
ne s'arrêtait pas là :
« Les mauvais ouvriers ne trouvent jamais d'outils assez biens fait pour eux ».
« Travail bien fait nourri son maître ».
« Le travail c'est la santé ».
« Il est bien des "sots" pas un sot métier ».
« Le travail bien fait ne coûte pas plus cher »...
L'école obligatoire, gratuite et laïque voulue par Jules Ferry avait des
principes à inculquer aux enfants après :
Savoir lire, écrire et compter.
Honnêteté, politesse, travail.
Les textes choisis comportaient au moins un passage traitant la question :
"Le père mort, les fils retournent le champ,
de ci delà, partout,
ne laissant nulle place où la main ne passe et repasse
si bien qu'au bout de l'an il en rapporta davantage
d'argent point de caché, mais le père fut sage
de leur apprendre avant sa mort
que le travail est un trésor."
Et puis aussi du même ton : Le laboureur et ses enfants
Et le bon travailleur au chant du coq se lève
aussi gai que le gai soleil
dans son lit le paresseux rêve
sommeil de jour, mauvais sommeil.
Telle était la doctrine générale qui prévalait sur toutes autres considérations.
Le repos hebdomadaire était préconisé comme une nécessité afin de reprendre
vigueur et ardeur pour attaquer la semaine suivante, c'était un peu ça, le
besoin de repos était reconnu, mais pas le plaisir de rien faire.
Après la séparation de l'église et de l'état, la République avait fait de
l'école universelle son point d'appui stratégique.
Par sa prédominance sur l'enseignement religieux, l'école laïque avait pris du
galon ; était devenue en quelque sorte le fer de lance de l'avenir.
Une immense responsabilité qu'elle assumait avec le plus grand sérieux.
Le corps enseignant, dans son ensemble toutes tendances confondues était dévoué
à son employeur : l'état, et l'état avait besoin de bras.
Le monde entier avait besoin de bras, et tout particulièrement l'Europe saignée
à blanc par la guerre 14-18, dont la France avait le plus souffert avec une
grande partie de son territoire dévasté, il fallait donc reconstruire,
restaurer, réparer et en même temps suivre l'évolution, moderniser, inventer,
innover, tout en même temps.
Pour tout ça il fallait des bras, des bras solides, courageux, motivés et
l'école laïque, partenaire à part entière de l'entreprise nationale enseignait à
la fois le savoir et le travail, liés de façons indéfectibles.
Et ça y faisait, tous les gamins à de rares exceptions n'avaient qu'une idée en
tête quitter l'école dès que possible avec certif ou pas et attaquer le boulot,
déjà pratiqué le jeudi et dimanche (semaine coupée par l'école).
Jusqu'à la fin des années 30 et début des années 40 des dispenses étaient
accordées à plusieurs gamins ou gamines dès l'âge de huit ans pour quitter
l'école du premier mai jusqu'au 11 novembre (environ), ils étaient employés en
ferme pour garder les vaches et s'occuper des volailles. C'était des enfants de
familles « nécessiteuses », femme veuve ou autre et les enfants de l'assistance
publique, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, ils faisaient des
envieux votre raconteur le premier !
(Il y a cinquante ans de cela et non des siècles, c'est difficile à croire et
pourtant les choses étaient ainsi.)
Il n'y avait pas d'allocations familiales et les familles nombreuses n'étaient
pas rares, cinq-six enfants c'était la moyenne, s'il arrivait un accident au
chef de famille ou mort naturelle ou encore suite de l'alcoolisme ou tuberculose
et que la mère se retrouve seule pour élever ses enfants, ils partaient
travailler à sept-huit ans, pour leur nourriture et quelques habits, une paire
de sabots et allaient à l'école quatre ou cinq mois l'hiver. Y avait-il «
dispense officielle » sûrement que non, il s'agissait plutôt d'une tolérance
consentie par la force des choses.
Si ce n'était pas une bonne solution, ce devait être la moins mauvaise pour les
enfants entre aller « travailler » pour pouvoir manger ou aller à l'école sans
manger ou pas assez, le choix était vite fait et c'était l'habitude comme ça,
l'instituteur fermait les yeux sur les absences prolongées et c'est tout.
Même après que des allocations furent allouées aux familles, ça n'a pas été
facile de faire cesser cette pratique, il y a des habitudes qui ont la vie dure
et il y eut des conflits à ce sujet jusque dans les années 50, entre des parents
qui avaient très peu fréquenté l'école qu'ils considéraient comme du temps perdu
; savoir lire et compter comme eux-mêmes c'était bien assez, disaient-ils,
allant jusqu'à démontrer, preuve à l'appui qu'ils gagnaient bien leur vie.
Et puis aussi arguaient de leurs droits sur leurs enfants qui devaient primer
sur les droits de l'état, c'était aussi simple que ça.
Toute la prime jeunesse était ainsi préparée à ce qui l'attendait : travail et
patrie et la mise en application de ces principes valeureux allait se faire bien
plus vite et plus dure que prévue.
Que tous les médias de tous bords, et hommes politiques du même cru qui
s'apitoient avec larme à l’œil sur le sort des gamins des pays asiatiques
contraints de travailler dans des conditions épouvantables soient encouragés par
le suivi de tous dans leur démarche à dénoncer la plus misérable des inégalités
de l'humanité, et si en causer c'est déjà bien, c'est loin d'être suffisant.
Faut-il pour autant oublier la part prise par les enfants de notre pays dans les
travaux pénibles pendant la dernière guerre, nous allons en parler en
connaissance de cause.
Dès le premier hiver de guerre 39-40, les enfants en campagne furent mis à
contribution pour suppléer la main d’œuvre mobilisée, les neuf-dix ans se
levaient le matin à quatre heures le plus tôt ou cinq heures le plus tard pour
aider dans les étables, préparer les betteraves, nettoyer les litières... Plein
de choses pénibles, sales, incontournables et... indiscutables. Dans une ferme
sans employés, tenue par le couple de fermier, le patron mobilisé, la femme
seule ne pouvait arriver à tout faire, le bétail : chevaux, vaches, cochons,
volailles, les champs et bien souvent des petits gamins à élever et les plus
grands aidaient la mère dans tout ce qu'ils pouvaient faire, encouragés en cela
par le pouvoir public comme en 1914. (Voir AN 14.)
Quand le président du conseil des ministres exhortait par voies d'affiches et
journaux les femmes et les enfants de remplacer dans les champs les hommes
partis au front ; et l'appel lancé était repris en cœur par les préfets, la
presse, les élus, les mairies.
Nécessité faisant loi il fallut que tout le monde travaille, des plus jeunes au
plus vieux, « les valides » pour nourrir l'armée au combat.
Et en 1939 la même cause produisit les mêmes effets.
En 25 ans les façons de cultiver la terre n'avaient pratiquement pas changé,
tout était manuel et tout dépendait de la traction animale, chevaux, bœufs.
Le labour des terres, les semis de céréales, les travaux de récoltes étaient
effectués par des charretiers connaisseurs, hommes jeunes et vigoureux tous
embarqués par la première vague de mobilisation.
Ces hommes-là tenaient leur place jalousement en domaine réservé, à les
croire personne d'autres qu'eux ne pouvaient assurer le suivi constant des
travaux de la ferme, et les plus jeunes attendaient leur tour pour monter en
grade en peaufinant leurs connaissances, leurs aptitudes à conduire les
attelages et utiliser le matériel mécanique, limité à la moissonneuse-lieuse et
faucheuse.
Dès le départ des premiers charretiers (le premier septembre), il fallut
pourvoir à leur remplacement immédiat pour préparer les semis de blés de
l'automne 1939, les 16-19 ans sautèrent sur l'occasion avec empressement et
quelques hommes encore jeunes pas partis (40-50 ans) qui reprirent du service,
l'agriculture continua de tourner, en abaissant graduellement l'âge des
travailleurs jusqu'aux enfants de 10-12 ans lesquels pour la plupart
travaillaient déjà mais à des travaux obscurs de gardiennage d'animaux,
volailles et servitudes diverses avec promotion lente, incertaine, la récompense
promotionnelle tardait à venir.
Pour un gamin c'était les années les plus longues, longues à plus en finir,
toutes tâches les plus rebutantes c'était pour les gamins.
En ce temps-là les lapins étaient logés partout où on pouvait les fourrer, dans
le coin basse-cour « les toits aux Volailles », le rez-de-chaussée était réservé
à la gent emplumée (poulets, canards, oies, dindes), « le premier » était pour
les lapins et était toujours rapetissé, adapté à la
taille des lapins, toutes les corniches mansardées servaient de refuge aux
lapins, au-dessus du cul de four il y avait aussi de la place, surtout en
longueur, mais point de hauteur du tout, un petit mètre c'est vraiment pas haut
et pourtant les lapins se plaisaient là dedans, les lapins se plaisaient
partout, pourvu qu'ils aient à grignoter et comme ces saloperies-là disposent
comme tout le monde d'une entrée et une sortie et pour sortir ça sortait,
marche.
Les lapinos n'arrêtaient jamais de manger, ronger, grignoter, tout ce qui se
trouvait à portée, quand les épluchures de choux ou salade, les quatre
pissenlits et la poignée d'avoine étaient avalés, ils s'en prenaient à la
paille, la coupassaient en rondelles, si la mangeoire était en bois ils
bouffaient l'assiette, les caissettes à harengs saur faisaient pas long feu, les
planchettes imprégnées de sel leur servaient de sucettes et l'expulsion allait
bon train aussi, des crottes et des crottes à plus en finir, toutes rondes,
toutes belles. En rien de temps le tapis des premiers jours prenait de la
hauteur, autant qu'un matelas au moins, l'espace aérien diminuait, fallait
intervenir avec raclette et balai à manches raccourcis, et qui donc s'il vous
plaît ?
Les gamins, facile à deviner hein ?
Pensez donc, c'était un travail de gamin, y’avait qu'eux qui pouvaient entrer
là dedans, et encore souvent plié en deux.
J'y pense là tout d'un coup, si Louis XI avait élevé des lapins comme ça, c'est
ses « copains » qui auraient écopés la corvée du nettoyage c'est sûr qu'il
aurait pas loupé ça, c’eut été joindre l'utile à l'agréable, cet homme là, un
rien l'amusait. D'après les mauvaises langues de son entourage, monsieur Louis
XI prenait du plaisir à observer les contorsions de ses « invités » de force,
malfaiteurs attrapés par ses gardes, et aussi ses ennemis personnels auxquels il
attribuait comme logement principal individuel une sorte de cage cubique (du
sur mesure), dans laquelle ils ne pouvaient se tenir ni debout ni couchés, même
avec rien à faire c'était pas une vie et ce Louis XI en valait pas deux, il a
bien eu la veine que ça se passe comme ça, si c'était à présent il verrait,
comme ça fait, l'autre jour j'ai lu au journal, en correctionnelle, y'a un type
qu'a été condamné à deux mois de prison avec sursis pour avoir battu son chien
qui avait pris un avocat.
Revenons à nos gamins.
Encore un mot sur le curage des clapiers en soupente, c'est quand même vrai
qu'imposer un travail pareil à des gamins était pour eux comme une punition
imméritée ; parce que en plus du fait que le local exigu était quasiment
inhabitable, à pas savoir comment se mettre. Le pire était que toutes les
saloperies trouvaient pratiques de venir se loger là-dedans et à commencer par
celles qu'on aime le moins.
En été par exemple, y'avait les mouches, des grosses, pas des bleues, des
jaunes, des punaises de mouches jaunes, y'en avait plein et on les dérangeait de
sucer l'urine des lapines, elles avaient vite fait de prendre de la hardiesse et
quand les premières gouttes de sueur perlaient au bout du nez, elles se
collaient dessus, fallait tirer le manche de la raclette d'une main et chasser
les mouches de l'autre.
Et puis attendez, et les puces donc, c'était rempli de puces, rien que d'y
penser on se grattait en montant l'échelle et c'est pas fini, sa majesté
l'araignée occupait les lieux en toute propriété, comme la toiture les avaient
empêché de monter plus haut, elles s'étaient résignées et avaient installé le
paradis des araignées sous les tuiles et restaient pas à rien faire pour ça,
même au paradis faut bosser pour vivre ; elles fabriquaient des toiles de
première qualité, plus épaisses que les torchons à vaisselle usés de la
grand-mère, la première des choses à faire en entrant là-dedans, passer un coup
de balai au plafond, ça dérangeait les dentellières qui abandonnaient le métier
et tombaient n'importe où jusque dans le col de chemise, c'était affreux, trois
ou quatre plus grosses les mères sans doute, grosses comme un pouce d'homme avec
plein de pattes autour se mettaient dans un renfoncement entre deux pièces de
bois où le balai ne pouvait pas aller et regardaient l'intrus, devaient être
fâchées, on avait l'impression qu'à tout moment elles allaient nous sauter
dessus pour venger ses petits, c'était « stressant »...
Il aurait bien fallu un psychiatre pour nous accueillir quand on descendait
là dedans, au lieu de ça après avoir secoué nos frusques, il nous était proposé
toutes sortes de bricoles pour nous changer les idées comme de conduire les
dindons aux champs ou tourner le mince orties, casser de la « bourrée» (petit
bois, branchettes) pour allumer le feu (1), aller au puits chercher un seau
d'eau, il fallait se mettre à deux pour tourner la manivelle (l'eau était «
creuse » 25 ou 30 mètres de câble à enrouler avec le seau accroché au bout,
c'était pas rien) et encore à deux pour le rapporter en prenant l'anse du seau
un de chaque, et il fallait marcher au pas, sinon le seau balançait de travers
et les giclures inondaient nos sabots, l'eau propre venait du puits et il en
fallait tout le temps, pour la soupe, la vaisselle et un peu pour boire,
heureusement que les hommes en buvaient point.
C'était plus facile de tourner la cannelle que la manivelle du puits...
(1) Jusqu'au début du siècle les fermiers faisaient leur pain, une fois
par semaine. On conduisait donc chez le meunier ce qu'il fallait de quintaux de
blé pour l'année et il restituait la compensation en farine par sac à date
convenue suivant le besoin, c'était préférable de faire comme ça puisque le blé
était de conservation plus facile que la farine.
Le four était chauffé avec des « bourrées » fagots de menues branches coupées
dans les bouchures et tout était ramassé précieusement jusqu'aux épines noires
et l'aubépine sauvage, lesquelles étaient réputées pour fournir le plus de
chaleur.
C'était une énergie gratuite qui ne coûtait que la main-d’œuvre, que l'on ne
comptait pas et qu'il fallait manier avec beaucoup de précaution.
Une autre pratique était en vigueur à la même époque, utilisée par les
particuliers qui ne faisaient pas le pain. Le blé était porté chez le meunier
pour le compte du boulanger, lequel en échange livrait du pain à poids égal au
blé reçu, l'eau incorporée au levain permettait de fabriquer plus de kilos de
pain qu'il n'avait reçu de blé et la différence avec les (issues) l'écorce du
blé était le salaire du boulanger.
Christian CONNET
LA GRANDE PEUR
Paru en 2001
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