![]()
ICAONNA Le patrimoine touristique et culturel de l'Yonne
TOURISME
CULTUREL DANS L'YONNE
www.yonne-89.net
|
La vie rustique
A cette époque là, il n'y avait pas d'autres sources de chaleur que
le bois (en campagne poyaudine tout au moins), la cuisinière à bois
servait également de chauffage pour la pièce principale, les autres
pièces n'étaient pas chauffées, jamais même par temps de gel à -10,
-15. Au bout de 3-4 jours il gelait dans les chambres comme dehors ;
les plus frileux faisaient chauffer une brique dans le four pour
mettre dans le lit à l'emplacement des pieds. L'usage de la brique
chaude avait un inconvénient, il lui était reproché de favoriser
l'apparition d'engelures, et comme tous les gamins avaient des
engelures, il était préférable de se passer de brique. Le plus dur
était d'affronter les toiles glacées, il fallait prendre son courage
à deux mains et plonger dans le plumard recroquevillé en chien de
fusil et se cacher par dessus la tête, en dix minutes les
tremblements s'arrêtaient, le sommeil prenait le dessus, le
lendemain les plumes étaient imprégnées de chaleur humaine, au point
que l'on souhaitait pouvoir y rester, sortir de là-dedans exigeait
autant de courage que pour y rentrer : (allez, hop debout, debout,
debout, grouillons-nous y'a du pain « sur la planche ») (1).
Le changement de température du dedans du lit avec le dehors pouvait
être de 20 degrés ou plus. Par exemple les commis qui couchaient
dans un coin de l'écurie aux chevaux où il gelait comme dehors,
quand il y avait une chambrette attenante à l'écurie et munie d'une
porte, c'était le luxe, dans les grosses fermes dont les bâtiments
dataient de la fin du XIXè siècle. Pour les autres, de constructions
plus anciennes il n'y avait souvent rien du tout, quelques planches,
un bas‑flanc pour protéger le lit et les gars dormaient là, sans
faire de manière, au contraire tout fiers de dormir à côté de « ses
chevaux ».
Quand nous disons que dans l'écurie aux chevaux il gelait comme
dehors cela mérite une explication. Il s'agissait de chevaux de
travail qui recevaient une nourriture en conséquence dont une
certaine quantité d'avoine de 10 litres à 12 litres l'hiver, quand
les journées de travail étaient les moins longues jusqu'à 15 litres
ou plus à partir de fin mars quand la journée de travail était de 10
heures.
Comme nous l'avons déjà dit, l'avoine était le carburant de la ferme
: « sang végétal de la terre qui n'avait besoin que d'un cheval pour
se transformer en liquide rouge vermeil et plein de feu».
Énergie propre, non polluante et renouvelée chaque année.
Seulement à l'inverse du tracteur qui ne consomme que quand il
travaille, le cheval mange tous les jours et fait 3 repas par jour
avec distribution d'avoine à chaque repas, l'avoine ingérée
aujourd'hui fera son effet demain. C'est pourquoi il importe de
nourrir le cheval avec la même ration tous les jours, étant entendu
que le cheval travaille et dépense de l'énergie, sans cela il y a
accumulation de réserves et l'animal devient bouillotte surchauffée,
il a trop de sang et court des risques graves de circulation
sanguine.
Le « coup de sang » qui peut dégénérer en apoplexie ou infarctus.
Dès les premiers symptômes le remède radical est la saignée
pratiquée à la veine jugulaire, il faut enlever 4 ou 5 litres pour
soulager le malade en diminuant la pression sanguine.
Les accidents de ce genre étaient à craindre justement en période
d'intempéries survenues brusquement.
En période d'hiver les chevaux pouvaient être au labour tous les
jours si le temps le permettait, mais en l'espace de 24 heures s'il
gelait très fort, la terre était dure comme du béton et la charrue
était « à clé » ; et les chevaux au repos forcé (chômage technique)
étaient l'objet de surveillance rapprochée du charretier, il était
nécessaire de les sortir faire de la marche et c'était de véritables
fours pas faciles à tenir...
Enfin la précaution primordiale était de tenir les chevaux
constamment en température ambiante, s'il gelait dehors, il devait
geler à l'écurie tout pareil. C'est pourquoi il fallait laisser la
porte de l'écurie ouverte et le matin, casser deux centimètres de
glace sur les seaux d'eau rentrés la veille.
Avec un régime comme ça, les chevaux n'étaient jamais malades, pas
de toux, de grippe, bronchite et son charretier de chef qui était
logé à la même enseigne bénéficiait des mêmes « avantages» de saine
vie (comment peut-on dire ça ?)
Un cheval ne craint pas le froid s'il a de l'avoine dans le coffre
il peut affronter les plus basses températures. Les chevaux de
Napoléon sur le retour de Moscou sont morts de faim et non de froid,
tout comme les chevaux du maréchal Paulus à Stalingrad.
Notes :
(1) Même en été la cuisinière était allumée toute la matinée pour
faire la cuisine du midi, sitôt après le café on laissait tomber le
feu. Je ne sais pas si vous voyez quand il faisait des chaleurs à
crever, dans une pièce où il y avait eu du feu toute la matinée,
c'était invivable.
Il fallait quand même rallumer le soir pour chauffer le souper et
c'était comme ça partout, pas de gazinière ou plaques électriques,
pas de frigo non plus, rien que du naturel.
(2) Tous les gamins en campagne rêvaient de conduire un jour « un
cheval », l'animal qu'ils avaient sous les yeux tous les jours et
dont ils entendaient les hommes parier constamment. Le cheval
représentait la force, la puissance, la virilité, tout ce qui
attirait l'attention des enfants mâles. Le hennissement des chevaux
entiers résonnait aux oreilles comme une musique sublime, une source
d'énergie inépuisable avec un brin de quelque chose de mystérieux.
Quand, lors d'un stationnement de quelques minutes d'un cheval
attelé à un tombereau ou une charrette, le charretier demandait au
gamin présent de mettre la main à la bride avec pour mission
d'immobiliser l'attelage le remplissait d'une immense fierté et si
c'était la première fois, (6‑7 ans) personne de la maisonnée ne
devait ignorer cet acte de courage, et c'était la première marche
sur les échelons à gravir.
Aussi quand le garçon de 8-9 ans était « invité » à participer au
labour des betteraves en conduisant le cheval entre les rangées, il
y allait avec le plus grand plaisir tellement ça paraissait tout
simple et tout à fait à sa mesure ; cette conviction intime baissait
rapidement en cours d'exécution, il faut l'avoir vécu pour savoir...
La Grande Peur - Christian CONNET
Édité par l'auteur en 2001
D'autres témoignages sur l'Yonne :